Dali, ce nazi

Docteur Salvador et Mister Dali

Dali, ce nazi
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Cette amorce semblera paradoxale, mais, je dois l’avouer, j’ai longtemps admiré Salvador Dali. C’est seulement à l’approche de mes vingt ans, quand j’ai entrepris de peindre et dessiner pour de bon, que le prestige de ce dernier a rapidement décliné à mes yeux. En fait, plus j’aimais la peinture moins j’aimais Dali.
Ce sentiment s’est développé  sans que je le cultive, jusqu’à ce jour où, dans la salle surréaliste du Beaubourg des années 1980, la simple vue de des tableaux de Dali et de ses acolytes a suffit à me glacer le sang. Il est vrai que les imposteurs ne manquent pas dans le domaine artistique, aussi la thématique du peintre épouvantable, que je soutiendrais un plus loin, ne pouvait à elle seule motiver ce papier. Il me fallait des motifs plus substantiels.

Voici mon premier grief, il est d’ordre politique, c’est inhabituel dans le cadre de cette publication, mais, comme vous le verrez, parfois tout est lié.
Dali, cet artiste « inoubliable », a chanté avec la plus grande conviction les louanges du général Franco, c’est avéré. Voici ce que rapporte Bruno Tur à ce sujet :
« Comme le rapporte l’historien Ian Gibson, Dalí dit de Franco qu’il est « l’homme politique clairvoyant qui a imposé la vérité, la lumière et l’ordre dans le pays, dans un moment de grande confusion et d’anarchie dans le monde ». (…) Dali exprime à plusieurs reprises son admiration pour Franco, qui le reçoit dans son palais en 1956 pour un entretien privé. (…) En 1975, il déclare à l’AFP que Franco « est le plus grand héros vivant de l’Espagne », que « c’est un homme merveilleux ». Et alors que le monde entier proteste contre l’exécution de cinq prisonniers politiques espagnols, Dalí déclare, froidement : « En vérité, il faudrait trois fois plus d’exécutions que celles qui ont eu lieu. »
Bruno Tur, Salvador Dalí, fou du dictateur Franco, http://www.slate.fr, Culture, 19.12.2012

Même si elle est connue l’admiration de Dali pour le franquisme est rarement évoquée. Quand il en est question, on semble considérer que c’est un aspect secondaire de sa vie, un genre de provocation, une extravagance. La provocation ou l’extravagance ont fait long feu : on ne peut pas être franquiste le matin et anarchiste l’après-midi. À mon sens, l’article de Bruno Tur établit clairement les convictions politiques de Salvador Dali.

Quoi qu’il en soit, Dali est considéré comme un peintre par les autorités culturelles et bon nombre de mes congénères. Alors parlons maintenant de peinture et du rapport que Dali entretien avec le troisième art, c’est le deuxième volet de ce billet.

« Le peintre le plus mauvais de France s’appelle précisément monsieur Paul Cézanne. C’est le peintre le plus maladroit, le plus catastrophique, et celui qui a plongé l’art moderne dans la merde. »
Salvador Dali, Entretien télévisé avec Denise Glaser dans l’émission Discorama de l’ORTF en 1971

En lisant cette formule, on sent bien que ces imprécations de Salvador Dali viennent de loin et qu’il sera difficile d’y déceler un second degré. Ce n’est pas de l’humour, une fois encore l’ambiance nazie est au programme. Voici l’interprétation la plus probable, la réalité du message de Dali : Cézanne est le premier représentant de l’art dégénéré. Le message est en parfaite adéquation non seulement avec les convictions politiques, mais encore avec le style pictural du maestro.

En effet, Dali peint comme les maîtres d’autrefois, plus exactement comme les petits maîtres d’autrefois. Il accorde le plus grand soin aux détails. Il n’y a rien de large ou de monumental dans son travail, il peint petit. Il peint petit avec des couleurs dures et souvent discordantes et vous ne trouverez ni l’accord, ni l’unité dans les toiles de cette « personnalité créative polyvalente ».
La vie de ses tableaux ne nait pas des jeux conjugués de la couleur, de la lumière et  de la matière dans une surface définie, c’est-à-dire des propriétés propres à la peinture. Non ! La seule réalité de ses toiles est descriptive et narrative. Comme le dit Gilles Deleuze à propos de la peinture considérée dans son ensemble : « Ce n’est pas de la grande peinture car elle inséparable de la narration. ». La formule habille parfaitement notre diva.
Effectivement, la peinture de Dali ne tient que sur quelques concepts, sans grand intérêt si je peux me permettre, comme les fameuses montres molles ou les éléphants montés sur des échasses.

Il est toujours délicat de décréter qu’un peintre est mauvais. On peut se tromper lourdement et se retrouver un beau jour, déconfit, devant une série de toiles étonnantes conçues par cet artiste que l’on vilipendait depuis des lustres. C’est particulièrement vrai depuis la fin du XIXe siècle, car il est désormais de rigueur que le maître se renouvelle. D’une manière générale, il est donc approprié de rester prudent.
Je ne prends pourtant aucun risque en agrafant Dali. Je dirais même plus : si, dans l’honorable objectif de mieux servir la peinture, on cherche un contre-exemple, alors personne ne fera mieux l’affaire que Dali… si ce n’est sans doute Yves Tanguy. C’est en effet sur ce dernier, que l’ex-ambassadeur des chocolats Lanvin s’est appuyé pour développer son style, sa manière.

Il est vrai que la peinture de notre champion s’inscrit dans les registres de la mémoire, mais comme peut s’y inscrire quelque chose d’épouvantable. Ainsi, pour quelqu’un qui aime vraiment, infiniment, Giotto, Rembrandt, le Tintoret, Poussin, Delacroix, Goya, Manet, Cézanne, Picasso, Braque, Bram van Velde — c’est-à-dire la crème des peintres toutes époques confondues — les œuvres de Dali constituent un genre de cauchemar.
N’y voyez pas une affaire ou une idée personnelle, un point de vue… Quel peintre d’exception s’est réclamé du travail de Dali ? Sauf erreur de ma part, sauf exception peut-être, les maîtres modernes n’ont jamais prononcé son nom. Il est pourtant de bon ton aujourd’hui de tenter de rapprocher Dali et Picasso. Excepté leur origine espagnole ils n’ont rien de commun et sont, en réalité, l’exact opposé l’un de l’autre. Nous allons y revenir dans quelques paragraphes.

Bien qu’il m’ait parfois surpris, je ne suis pas persuadé que Roger-Edgar Gillet puisse être considéré comme un grand maître moderne. Cependant c’est quelqu’un qui a peint constamment et beaucoup regardé les œuvres majeures. Il est donc possible de considérer que ses commentaires sont légitimes. Voici ce que dit Roger-Edgar Gillet à propos de Dali :
« C’est un génie et c’est un des plus mauvais peintres que je connaisse. »
Gillet Roger Edgar, La matière et le geste, entretien avec Alexis Pelletier réalisé en 1998, imprimé à l’occasion de l’exposition « Humanités » à l’Abbaye d’Auberive, galerie Guigon, Paris, 2006, non paginé
Vous l’avez sans doute deviné, je laisse le « génie » à Edgar Gillet, mais je souscris pleinement à la seconde partie de la citation.

Naturellement le sujet me tenaille depuis longtemps. Mais au-delà du personnage — de cet expert en communication, de cet admirateur des régimes autoritaires, de ce triste peintre — un point me chagrine tout particulièrement, je veux parler de l’attitude des instances culturelles à son égard. C’est là le troisième point de ce modeste pamphlet.

J’ai toujours pensé que l’attrait exercé par Dali allait fondre en une ou deux décennies. Pourtant, aujourd’hui encore, il préserve — intacte, l’indulgence ou plutôt la ferveur, le ravissement même, de nombreux spécialistes, conservateurs de musée ou critiques. Il y a quelques années, j’ai noté cette formule que l’on doit aux petits génies qui pilotent Beaubourg :
« Le Centre Pompidou rend hommage à l’une des figures magistrales les plus complexes et prolifiques de l’art du 20e siècle, Salvador Dalí (…) ».
Cette vénération est peut être de la complaisance pour une valeur sûre du marché de l’art, un genre de promotion ad vitam æternam, c’est peut être aussi un moyen de faire du chiffre avec les nombreux visiteurs qui ne viennent pas pour la peinture, mais pour le récit et la fable. Un certain nombre de mobiles peuvent ainsi expliquer cette étrange admiration, mais en vérité le fait que Dali soit encore et toujours porté aux nues par les élites culturelles est totalement consternant.

Pour l’anecdote, le bouchon est poussé encore plus loin par les créateurs de La casa de papel, une série récente qui a fait un tabac. Dali est, en quelque sorte, l’icône de cette fiction et la figure même du redresseur de torts. Picasso, le militant communiste, qui n’a ni pactisé avec les nazis, ni fuit Paris durant la deuxième guerre mondiale, aurait été une mascotte bien plus convenable. Sur un plan plastique, l’œil noir de Pablo ne soumet-il pas d’ailleurs la moustache de Salvador ?
Il y a dans ce choix un malentendu, une erreur de casting. Dali n’est pas Robin des bois, il est l’ami des dictateurs. Or, les héros de la série sont des braqueurs, des braqueurs plutôt sympathiques c’est vrai, mais des braqueurs… Dans une semblable configuration, le vrai Dali, l’authentique, n’aurait-il pas demandé leurs têtes et brûlé personnellement tous les masques à son effigie ?

Une réflexion au sujet de « Dali, ce nazi »

  1. Marion Bremaud

    Je suis depuis quelques jours (sur Facebook) les commentaires suscités par l’article sur Dali et les points de vue sont tellement opposés que ça fait presque sourire. Mais je comprends bien l’irritation que Dali peut engendrer auprès des peintres attachés aux valeurs profondes de la peinture. C’est à dire de ne pas utiliser la peinture comme une provocation pour attirer l’attention mais comme l’expression d’un sentiment épuré de toute connotation d’imposture. Le personnage mis en scène par Dali lui-même peut faire rire, intriguer ou scandaliser, mais en ce qui me concerne ses oeuvres me laissent de glace comparées à l’impalpable et indescriptible prise de conscience de la beauté universelle face à une oeuvre de Rembrandt ou des autres peintres cités dans « la lignée » sur ce site
    Tout est une question de sensiblité. Chacun est libre d’aimer les oeuvres de Dali ou, pourquoi pas, aujourd’hui d’un Jeff Koons. Quant à l’opinion politique de Dali et sa façon de l’exprimer je tire la conclusion que nous avons affaire à un sociopathe dont on ne peut que noter avec dégoût les propos haineux.
    Dali n’inspire rien d’autre qu’une éventuelle « fascination » exercée par ce peintre en soif d’argent (d’où son surnom anagramme: « avida dollars ») et de renommée à tout prix. Il est mort comme un lâche pitoyable entouré d’une armée d’infirmiers dans sa maison transformée en hôpital. Tel un moustique, il aura fait beaucoup de bruit, mais ce n’est au final qu’une bête de foire qui attire la foule des amateurs de cabinets de curiosités. Sans l’appui et la propagande des spéculateurs d’art on entendrait sans doute peu parler de lui.

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