Un entretien avec
Albert Hadjiganev

Albert Hadjiganev, La sieste, huile, 200 x 200 cm

Albert Hadjiganev, La sieste, huile, 200 x 200 cm

Aujourd’hui, beaucoup de gens font de la peinture, mais on compte peu de peintres. Albert Hadjiganev est pourtant l’un d’entre eux. Il a mis sa vie dans la peinture, vraiment toute sa vie, et — très régulièrement, il a sorti des toiles fortes, des toiles évidentes.
J’ajoute qu’il ne cherche pas l’air du temps, mais qu’il cherche plutôt, et en toute humilité, avec obstination, la permanence, l’universalité… Je pense que les reproductions qui illustrent l’article suffiront à établir ces affirmations. 

Albert Hadjiganev est donc un peintre et on l’entend, on le mesure, parfaitement dans cette interview. Une interview qui n’est pas une interview écrit où chaque mot pesé. C’est une interview spontané, plutôt un entretien, un entretien parfois un peu décousu, mais riche et vrai. Nous voilà, cette fois, en plein dans les arcanes du métier : la formation, la pratique, les enjeux de la peinture, et encore, et aussi, le rôle et l’importance des figures tutélaires. Vous mesurerez d’ailleurs à quel point, comme tous les peintres avérés, Albert nourrit d’étroits rapports avec les épées, les légendes, de la profession. Dans cet entretien, il est donc bien question de peinture… Ce qui n’est pas si fréquent !

Albert Hadjiganev, Montagnes mauves, huile, 60 x 81 cm

Albert Hadjiganev, Montagnes mauves, huile, 60 x 81 cm

Dominique Desmont : Quelle est ta formation ? Es-tu autodidacte ou as-tu été élève dans une école d’art ?
Albert Hadjiganev : Comme beaucoup de peintres, ça a commencé dès l’enfance. Mon père, peintre autodidacte, collectionnait des livres d’art dans lesquels je passais des heures, mais sans aucune ambition de devenir peintre moi-même. C’est bien plus tard, vers l’âge de vingt-deux/vingt-trois ans, que j’ai éprouvé la nécessité de produire des images moi- même. En Bulgarie à cette époque, le métier de peintre passait obligatoirement par une formation à l’école nationale des beaux-arts. J’ai donc rejoints la capitale- Sofia, et me suis inscrit dans un cours préparatoire pour enter dans cette école. Après trois tentatives infructueuses, j’ai décidé que la quatrième, serait à Paris.
A Paris, je suis tombé dans le cours de la ville de Paris, dirigé par Rémy Aron, dont le charisme avait réunit autour de lui un groupe de jeunes artistes qui ambitionnaient la même chose que moi. Je suis donc entré à l’ENSBA de Paris, mais l’essentiel de ma formation est dû à Rémy Aron, dont j’ai continué à fréquenter le cours tout au long de mon cursus aux beaux-arts, et même après.

Dominique Desmont : tu parles de Rémy Aron, pour moi c’est une bonne idée, mais tu évoques aussi l’enseignement reçu aux Beaux-arts de Paris or j’ai souvent remarqué que le fait d’avoir été élève dans cette grande école, du moins dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, faisait impression. Et donc, toi, dans cette fameuse école des Beaux-arts de Paris, tu n’as rien appris ?
Albert Hadjiganev : on ne peut pas dire ça. Si, j’ai dû apprendre des choses… Les cours de morphologie par exemple ! On apprend un petit peu, quand on dessine, on dessine un corps… Dans les cours de Rémy, on dessinait un corps, bon on dessine la forme globale, puis on essaie de préciser. Et dans les cours de morphologie, on nous apprenait ce qu’il y a sous l’enveloppe corporelle et qu’est-ce qui fait qu’une forme est ce qu’elle est, ça donne une meilleure compréhension de ce qu’on est en train de dessiner quand il s’agit de modèle vivant. D’autre part aux Beaux-arts, il y avait des disciplines qui étaient au choix, et j’ai pu aborder la fresque et la mosaïque. Par la suite, dans ma vie de peintre, je n’ai jamais fait de la mosaïque, mais ça m’a permis de comprendre comment sont faites les mosaïques que je peux voir ici ou là… dans des musées. D’ailleurs la semaine dernière j’étais au musée de Troyes, plutôt au musée de Besançon où j’ai vu des mosaïques romaines. En fait, c’est bien d’avoir une idée de ce que c’est qu’une mosaïque, comment ça se compose, etc. Ça élargit un peu notre compréhension des œuvres. Pareil pour la fresque, quand je vois une fresque au Louvre ou ailleurs, dans une église, en France, à l’étranger, j’ai une meilleure compréhension du travail qui a été accompli, que ce soit par les romains, par les grecs ou par Giotto. Donc voilà, ça élargit notre compréhension des choses. Quand à la peinture, la peinture telle que je la pratique, de l’huile sur toile ou des aquarelles, etc. Hé bien, les Beaux-arts ne m’ont strictement rien apporté, cette plage là de ma pratique et de ma compréhension est due essentiellement à la fréquentation de l’atelier de Rémy.

Albert Hadjiganev, Fenêtre blanche - 2, huile, 195 x 130 cm

Albert Hadjiganev, Fenêtre blanche – 2, huile, 195 x 130 cm

Dominique Desmont : un mentor, un maitre, un passeur, t’a-t-il guidé sur les chemins (plutôt escarpés) qui mènent au dessin et à la peinture ?
Albert Hadjiganev : Rémy Aron1 et ces propres influences… Je veux dire que j’ai vu Rémy influencé par Turner, que je l’ai vu influencé un peu par Astolfo Zingaro, aussi par de Staël, mais aussi par Truphémus, mais aussi… étant à peine plus âgé que nous, il était perméable aux expos qu’il voyait, aux galeries qu’il fréquentait, et nous, en tant que ses élèves, il nous transmettait aussi ses influences. On voyait une belle toile d’Aron, qui était influencé par untel ou untel… très souvent, moi en particulier, je ne me permettrais pas de parler pour les autres, j’étais influencé par l’artiste qui influençait Rémy, y compris Morandi, y compris plein d’autres. Du coup ça donnait une espèce d’amalgame d’influences, influence sur influence, qui, quelque part, nous détermine. Mais, si tu veux, même quand on est influencé par untel, untel, nous ne pouvons pas cacher ce que nous sommes profondément.
Pour revenir à Rémy, même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui, Rémy reste encore un maître pour moi. Ne serait-ce que culturellement, par sa culture très large, tu vois. Je n’ai pas de doutes sur l’étendue de ses connaissances, mais plutôt sur les conclusions un peu définitives qu’il a émises, ponctuellement, année après année, et qui peuvent changer. La conclusion d’aujourd’hui, qui parait définitive, c’est que l’avenir de l’art de la peinture se trouve en Chine. Je ne suis pas du tout convaincu. Donc on verra, l’avenir nous le démontrera et, probablement, on ne sera pas en vie lorsque notre art, qui continuera d’exister, aura évolué. Mais dans tous les cas, Rémy reste toujours un maître pour moi.
Ainsi, Rémy amenait des artistes en Chine pour aller peindre sur le motif. Il nous a amenés avec Clémentine2 et d’autres peintres, quelques fois accompagnés par des artistes chinois. Et, sur le motif, j’ai travaillé une ou deux fois à côté de lui : il est génial ! C’est un peintre ! Formidable ! Et aussi, il nous a envoyé dans les musées, c’est le premier et je dirais l’unique qui nous a envoyé dans les musées. Moi, si je dois ériger des monuments, le deuxième monument je l’érigerais à François Colmart3. Parce que quand j’ai travaillé pour lui, même si c’était ponctuel, il aménageait mes tournées de livreur, et, dans des villes où il y a des musées importants, où il y a des choses à voir, il aménageait mes tournées pour me laisser le temps d’aller au musée. Du coup je connais le musée de Céret dans les Pyrénées orientales, comme les musées partout en France : les musées de Bordeaux, Besançon, Troyes… Et j’en passe. La France est un pays formidable ! C’est tellement riche que je mourrais sans avoir pu englober tout ce que la France propose comme trésors en matière d’art.

Albert Hadjiganev, Soir dans les collines - 2, huile, 81 x 100 cm

Albert Hadjiganev, Soir dans les collines – 2, huile, 81 x 100 cm

Dominique Desmont : quels sont les peintres qui t’ont influencé ? A quel moment et dans quelle mesure ?
Albert Hadjiganev : j’ai déjà évoqué un certain nombre de peintres qui m’ont influencé dans le cadre de l’enseignement de Rémy Aron. Quoiqu’il en soit, de Giotto à Braque, la galerie des peintres dont j’ai subi l’influence est interminable. Avec, peut-être, une attirance plus prononcée pour les peintres de Barbizon et Albert P. Ryder, découvert tardivement à New York.

Dominique Desmont : ces maîtres est-ce que tu les as copiés ? Je me souviens avoir vu un croquis que tu as fait d’une toile de Goya…
Albert Hadjiganev : je sais de quel croquis tu parles, je crois que c’est la lettre des Jeunes du musée de Lille. Un jour avec notre amie Clémentine on a pris la voiture et on est allé à Lille juste comme ça visiter le musée de Lille et pour copier certaines choses. J’ai en tête cette esquisse des Jeunes et La descente de croix de Rubens. Il y en a une que François m’a peut-être achetée ou échangée contre une ou deux bouteilles de super vin.  Oui ! ça m’est arrivé de copier les maîtres. En plus j’ai travaillé au musée d’Orsay comme gardien pendant plus d’un an. Souvent quand j’arrivais la première heure, avant l’entrée du public, je croquais des petits trucs, des Degas, des Bonnard. Bonnard est assez difficile. Il est essentiellement coloriste et tout se passe par la juxtaposition des tons, il est très difficile à crobarder. Bon, mais je me souviens d’avoir crobarder d’après Bonnard et aussi d’après Cézanne. Je me souviens plus exactement de ce que j’ai fait… L’Olympia moderne… Je faisais en fonction du poste où on me mettait.

Albert Hadjiganev, La lune face au soleil, huile, 73 x 100 cm

Albert Hadjiganev, La lune face au soleil, huile, 73 x 100 cm

Dominique Desmont : est-ce qu’on peut considérer que la copie des maîtres t’a construit ou est-ce que ça reste anecdotique ?
Albert Hadjiganev : certainement ! Ça  peut entrer dans la globalité de la formation. J’ai peint en forêt et je ne peux pas peindre en forêt sans parler des deux grands qui m’ont formé comme Courbet et Yvan Chichkine un peintre russe formidable.

Dominique Desmont : mais parmi les maîtres qui ont concouru à te construire, il n’y a pas aussi Braque ?
Albert Hadjiganev : oui il y a Braque. Il y a Vuillard. Le premier Vuillard que j’ai vu, c’était un portrait, un portrait très connu. Le personnage est dans l’angle bas gauche. Déjà c’est une composition pas commune, c’est très jeté et c’est sur une toile certainement encollée, mais crue. On voit la toile de jute. C’est sublimissime ! Mais, même dernièrement, je suis monté exprès dans les salles d’art déco pour voir une toile extraordinaire, magnifique, de Vuillard. Sinon ma dernière découverte c’est Cézanne. Tardivement dans ma vie je découvre la profondeur d’un peintre comme Cézanne tu vois. Pour moi Cézanne, c’était l’austérité, la rigueur, et beaucoup d’ennui en regardant les tableaux de Cézanne. Et récemment, je ne sais pas, peut-être à cause de ses aquarelles de la montagne Sainte-Victoire, j’ai découvert sa profondeur. Je suis un latin, un sentimental, peut-être jusqu’à la caricature des sentiments. Du coup je fonctionne seulement par le sentiment que le rectangle couvert de peinture peut produire sur moi. L’austérité apparente de Cézanne empêchait mes sentiments. Lors de ma dernière visite à Orsay, ils avaient réuni les toiles de sa jeunesse, dans une seule salle, et je ne les avais jamais vus comme ça ! Et là c’était un nouveau choc ! Et c’est extraordinaire et c’est peut-être l’avenir de l’art de la peinture. Ce qui est extraordinaire c’est de découvrir quelque chose que des professionnels comme nous, nous connaissons depuis, depuis, depuis des années, depuis notre jeunesse.

Albert Hadjiganev, Arcos de la Frontera, huile, 100 x 100 cm

Albert Hadjiganev, Arcos de la Frontera, huile, 100 x 100 cm

Dominique Desmont : quels sont tes sources d’inspiration ou tes sujets de prédilection ?
Albert Hadjiganev : la nature… Inépuisable de propositions et interprétations.

Dominique Desmont : en matière de peinture, quelle est ta démarche ou ton fonctionnement ? Pour le dire autrement peux-tu évoquer le processus créatif ?
Albert Hadjiganev : longtemps complexé par mes insuffisances, j’ai fini par comprendre que ce sont justement elles qui me caractérisent et les accepter, sans pour autant renoncer à les corriger…

D. Desmont : d’accord, c’est une très bonne base, mais, pour être un peu plus prosaïque, plus concret, je te demanderais bien comment tu t’y prends : Tu fais des croquis ? Tu travailles de mémoire ? Tu travailles exclusivement sur le motif ?
Albert Hadjiganev : c’est simple, mais c’est une question plutôt juste. J’ai souvent travaillé d’après nature, mais qu’est-ce que j’ai gardé ? C’est une autre affaire… J’ai commencé à travailler d’après nature pour constituer mon dossier d’entrée aux Beaux-arts. Je peignais sur des cartons entoilés, j’ai même fini par vendre quelques-uns de ces travaux, à des prix modestes. Sinon, après, on travaillait avec Rémy, avec les copains. Je me souviens, qu’avec Rémy, on est sorti une ou deux fois travailler dans la campagne du Vexin. J’ai travaillé avec Christophe, avec Alain… On se pointait de temps en temps avec les chevalets dans la nature. Un certain nombre de fois aussi tout seul et y compris jusqu’à maintenant… Ça m’arrive encore en Espagne ou ici de sortir la girafe4. A un moment donné, j’ai aussi découvert le pastel gras de chez Sennelier et j’ai fait pas mal de pastels. Donc voilà, je travaille d’après nature. Parfois j’essaye de repartir d’un pastel, c’est-à-dire de prendre le pastel comme modèle, pour faire une huile. Mais, n’étant pas capable de reproduire de façon convaincante, je suis obligé de nourrir la toile différemment, de changer des éléments pour tenir la toile. J’avoue aussi que, même si le travail d’après photo ne fait pas parti des directions enseignées par Rémy, il m’arrive très souvent de sortir avec le téléphone dans la poche. C’est assez facile… dans une promenade quelque chose te plait, hé ben tu sors le téléphone, enfin moi je sors le téléphone, je photographie, et quelque fois ça me sert de démarrage, ne serait-ce que de démarrage, et parfois même jusqu’à l’aboutissement de la toile.

Albert Hadjiganev, Printemps en hiver 2, huile, 97 x 130 cm

Albert Hadjiganev, Printemps en hiver 2, huile, 97 x 130 cm

Dominique Desmont : tu ne travaillais pas de mémoire ?
Albert Hadjiganev : je travaille aussi de mémoire et ça m’aide parce que souvent, que ce soit la photo du téléphone ou un croquis à reprendre, ils ne correspondent pas à ma sensation, à ce que j’ai vu, à quelque chose qui m’a marqué et que je veux « reproduire ». Du coup, voilà, je suis obligé de me référer davantage à la sensation que j’ai en mémoire, plutôt qu’au matériel, au modèle si on veut, avec lequel j’ai démarré la toile.
D’ailleurs, j’ai deux toiles, juste en face de moi, qui correspondent à des motifs qui m’ont marqué et que j’ai photographié. Les photos ne correspondent pas à la sensation que j’ai pu éprouver lorsque j’ai vu ces images, donc je ne m’y réfère pas. Très souvent j’enlève la photo pour ne pas être dérangé. Ou alors quand c’est un pastel qui me sert de référence, je le cache, je ne le détruis pas, je m’oblige à ne pas le regarder. Si je veux passer ma sensation, je suis bien obligé de m’abstraire du modèle qui me coince en fait. L’abstraction existe bien avant Kandinsky. Courbet en parle dans une lettre. Il parle de ce besoin qu’éprouve l’artiste de s’abstraire de la réalité et des modèles. Ce besoin là existe depuis toujours, depuis Giotto, depuis le premier peintre. C’est une nécessité. Le but de notre art c’est de passer un sentiment, de traduire une sensation. Si on veut toucher l’autre, il faut que nous soyons touchés nous-mêmes. En traduisant nos sensations on a plus de chances de toucher l’autre. Sans quoi c’est stérile, purement théorique…

Albert Hadjiganev, A l'ombre du pêcher en fleurs, huile, 100 x 100 cm

Albert Hadjiganev, A l’ombre du pêcher en fleurs, huile, 100 x 100 cm

Dominique Desmont : Quelles sont les qualités que tu cherches aussi bien dans ton travail de peintre que dans celui de tes pairs ?
Albert Hadjiganev : peut-être la sobriété, la profondeur.

Albert Hadjiganev, Soir dans les collines,120 x 120 cm

Albert Hadjiganev, Soir dans les collines,120 x 120 cm

Dominique Desmont : quel est  ton avis sur l’état du monde actuel de la peinture ?
Albert Hadjiganev : à 71 ans, je n’ai pas beaucoup de temps à me préoccuper de cette question là. Ma prochaine toile me préoccupe d’avantage. Quant aux tendances à la mode, j’en ai vu un certain nombre arriver, tenir un  temps et disparaître. Je n’ai pas la boule de cristal pour prévoir l’évolution de notre art.

Dominique Desmont : donc tu n’as pas d’avis ou tu ne donnes pas ton avis sur l’avenir de la peinture, disons l’avenir de la peinture en France, car dans ce pays de peintres, les instances culturelles et les média se soucient peu de la peinture, de la peinture d’aujourd’hui… Mais peut-être tu n’as pas le sentiment que la peinture, cette peinture, celle d’aujourd’hui, est déclassée ?
Albert Hadjiganev : si, si, j’ai le sentiment qu’aujourd’hui la peinture est un peu déclassée. Néanmoins depuis que je peins, depuis qu’étudiant aux Beaux-arts je passais dans les galeries, rue de Seine et autour, j’ai vu pas mal de choses apparaître et régulièrement disparaître des vitrines des galeries. En fait, ma conclusion est : même si l’art, tel qu’on le pratique, est un peu déclassé, comme tu le dis, il me semble qu’il existe. D’ailleurs régulièrement, reviennent des artistes qui peignent sur chevalet. Ces artistes, qui peignent bien et qui ne sont jamais démis de leur voix de peintres, ressortent donc ponctuellement. Quelque fois comme Lucien Freud, comme, même si je considère que ce n’est pas un bon peintre, David Hockney, ils ressortent et tout d’un coup, soutenus par une galerie très en vogue, ressortent et font les plus hauts prix du marché de l’art. Ça disparait, ça disparait et tout d’un coup ils ressortent et cassent la baraque.

Dominique Desmont : d’accord, mais tu ne crois pas, qu’à une époque un peu plus lointaine, il y avait pas mal de gens qui vivaient, au moins passablement, de la peinture ?
Albert Hadjiganev : en pourcentage de gens qui exerçaient le métier, il est probable qu’il y avait beaucoup plus de gens qui vivaient de la peinture. Les temps changent.  Néanmoins, la question je la pose dans d’autres termes : qui tu es ? Qu’est-ce que tu fais ? Si tu es un artiste qu’est-ce que tu peux faire d’autre pour exercer ton art ? Tu ne peux pas faire autre chose ! Du coup, même si je ne nie pas qu’il y ait un problème, cette question du déclassement de la peinture ne m’intéresse plus dans la simple mesure où je ne me vois pas faire autre chose que ce que je fais… Je peux juste essayer de le faire d’une meilleure façon. De toute façon, des vieux comme nous, nous n’avons pas le choix, en tout cas moi je n’ai pas le choix. Je ne peux que continuer en espérant que la roue de l’histoire tourne et que l’art de la peinture retrouve un jour des adeptes et des amateurs. Oui, il y a un changement clair, mais ça ne veut pas dire que la peinture-peinture ne va pas, à un moment ou un autre, revenir.

Albert Hadjiganev, Fenêtre rose - 2, huile, 162 x 130 cm

Albert Hadjiganev, Fenêtre rose – 2, huile, 162 x 130 cm

Dominique Desmont : à propos, encore, de l’ancrage dans le monde contemporain, de la contemporanéité… Est-ce que tu peux dire que tu es bien de notre époque et pourquoi peux- tu le dire ?

Albert Hadjiganev : la réponse est très simple : je suis de cette époque parce que je vis dans cette époque. Maintenant est-ce que je ne me suis pas fait la réflexion : « est-ce que je ne serais pas né à la bonne époque ? »… Je l’ai eue cette pensée, elle m’a traversé l’esprit en effet. Je pensais à l’époque où les peintres peignaient et ne faisaient pas de spéculations sur l’art de la peinture. Est-ce que le vingtième siècle, si j’étais né cinquante ans ou cent ans plus tôt, je ne sais plus exactement, en tout cas, est-ce que je n’aurais pas été ringard en peignant correctement, est-ce que je n’aurais pas traité Vlaminck et Derain d’usurpateurs ? Quelque soit l’époque tu ne peux faire que ce que tu peux. Je pense que si j’étais né à une autre époque, je serais probablement toujours peintre, je serais arrivé à la peinture, peut-être pas, je ne sais pas, des fois le hasard peut déterminer, comment dire, notre vie. En effet, il m’est arrivé de penser que la peinture des époques précédentes était autre chose. Il y avait plus à manger. C’était plus noble comme art, mais bon… Récemment je pensais à Titien aussi, à la fin de sa vie, lorsqu’il n’avait plus rien à foutre des apparences… c’est là où il est devenu le plus grand ! On démarre quelque part avec des connaissances très superficielles, mais, touchés par l’art de la peinture, on apprend et on avance, on oublie aussi. En tout cas peut-être, si je ne suis pas trop con, peut-être mes dernières toiles seront mes meilleures toiles ! Mais est-ce que j’ai cette liberté, la liberté des grands peintres ? Je ne sais pas ! Ça ne veut pas dire qu’il faut se lâcher… Si je prends l’exemple de Braque ou de Derain, ils reviennent au classicisme quelque part, mais avec une très, très, grande liberté !

 

Cet entretien avec Albert Hadjiganev a été réalisé en octobre 2025 par et pour sur-la-peinture.com (le cas échéant citez vos sources)

Un peu plus sur Albert Hadjiganev ?
Sur Instagram : https://www.instagram.com/alberthadjiganev/

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(1) Rémy Aron est un peintre. Il a enseigné durant vingt ans les arcanes du métier et est actuellement président de la Maison Des Artistes… https://sur-la-peinture.com/linterview-de-remy-aron/
(2) Clémentine Odier est une peintre. Elle a, elle aussi, longtemps enseigné les enjeux et les fondamentaux de la discipline… https://sur-la-peinture.com/linterview-de-clementine-odier/
(3) François Colmart est un entrepreneur et un collectionneur avéré
(4) Une girafe est un chevalet de campagne associé à une boite de peinture, ce qui lui donne de la stabilité et, en quelque sorte, la silhouette d’une girafe

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