Le livre de Benjamin Olivennes plaira aux peintres avérés, qui, pour la majorité d’entre eux, vivent dans l’ombre du label contemporain.
Ce n’est pas une sinécure pour ces derniers, d’autant que la peinture est ramenée à un art dépassé, un art de patronage, par les instances culturelles françaises. Les peintres sont donc aussi victimes des innombrables peintres non professionnels, qui se découvrent une vocation tardive et leur disputent les salles d’exposition et parfois les galeries.
Vous êtes, Benjamin Olivennes, un sauveur potentiel, en tout cas un amateur aguerri, susceptible d’aimer notre travail pour ce qu’il est, pour les qualités qui lui sont propres, c’est-à-dire sans vous soucier des consignes instituées par le critique d’art contemporain. Naturellement vous êtes plus que ça, car l’amateur de peinture, même aguerri, dispose rarement d’un corpus théorique, il fonctionne à l’instinct. Les peintres d’aujourd’hui, tous ceux qui vivent dans l’idéal de la peinture, vous aimeront, car, bien qu’ils le taisent le plus souvent, ils tiennent à ces valeurs que vous défendez avec panache : l’admiration, la contemplation, l’émotion, le métier et bien sûr la beauté. Rappeler que notre pays est une terre de peintres, des peintres le plus souvent attachés à la rigueur et à l’équilibre, importe aussi, et sans doute plus qu’on ne pourrait le penser. Je crois que vous exprimez ce que le peintre ressent. D’autre part, vous lui redonnez la place qui lui revient dans l’art d’aujourd’hui et, dans la période actuelle, c’est tout à fait exceptionnel.
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J-L Turpin : les grands peintres se reconnaissent entre eux et s’adoubent, c’est le principe de la chaîne des maîtres. De toute évidence, vous tenez beaucoup à cette idée. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Benjamin Olivennes : pour échapper au lieu commun selon lequel le jugement artistique relève uniquement de la subjectivité, des goûts et des couleurs qui ne discutent pas, il était important pour moi de dire qu’il y a dans l’histoire de l’art des valeurs qui sont quasiment absolues. Certains peintres ne sont pas forcément les plus aimés du grand public mais sont révérés des peintres en tout temps et en tout lieu : Poussin, Velazquez, Chardin, Corot, sont regardés, admirés, copiés de la même manière par Manet, par Degas, par Picasso, par Balthus, par Morandi, par Lucian Freud. Ils dessinent une chaîne de peintres qui se voient comme les héritiers les uns des autres, poursuivant la même longue étude, quelque novateurs qu’ils soient. Et les membres de cette famille se reconnaissent entre eux, à travers les générations, dessinant une histoire qui n’est pas exactement l’histoire du XXe siècle qu’on raconte. Le cadet à qui Picasso va acheter un tableau, ce n’est pas Dubuffet, ce n’est pas Soulages, c’est Balthus, Balthus que Freud et Bacon viennent rencontrer à Paris, etc. Suivre ce fil me permet de faire émerger une autre histoire du XXe siècle, et d’échapper au piège du subjectivisme et du relativisme.
J-L Turpin : en lisant votre ouvrage on constate rapidement qu’en matière d’art vous ne prenez pas l’époque, la contemporanéité, comme un viatique. Selon vos constatations, les amateurs d’art, y compris les plus sincères, les plus éclairés, se soucient-ils —contrairement à vous —de l’air du temps ?
Benjamin Olivennes : je vous répondrais que je me soucie beaucoup de l’air du temps, en cherchant dans notre époque les artistes qui feront encore notre admiration dans cent ans, et non ce qui est à la mode et à ce titre se démodera. Je crois qu’au contraire ce sont ceux qui sont restés bloqués à Marcel Duchamp, cent ans après l’urinoir, qui se trompent d’époque et de présent, qui ne savent pas ce qui est contemporain.
J-L Turpin : il existe une peinture française et de nombreux artistes venus de tous les cieux ont contribué à sa genèse, notamment au XXe siècle. Vous nous présentez longuement les adhérents de cette confrérie, sans mentionner les écoles de Paris, et notamment l’école de Paris d’après-guerre, la nouvelle école de Paris. Celui qui a lu votre livre sait pourquoi, mais pouvez-vous l’expliquer brièvement au lecteur de cette publication ?
Benjamin Olivennes : tout simplement parce qu’elle n’a pas besoin de moi pour sa gloire ! J’aime beaucoup des peintres comme Nicolas de Staël, évidemment, ou Poliakoff, Soulages, et tant d’autres. Mais dans le fourmillement parisien de l’après-guerre, je suis plus intéressé par la démarche et l’amitié de Balthus et Giacometti, et des artistes qui les entouraient (Hélion, Gruber, Tal Coat, Raymond Mason), qui est à l’origine d’un art plus nourrissant (à mes yeux) et d’une tradition plus fertile. Ce qui me passionne, c’est la façon dont la peinture rend compte du monde réel.
J-L Turpin : Marie Sallantin a écrit « La confusion est entretenue longtemps dans des musées de prestige tels Beaubourg, le MAMVP et même le Louvre, entre ce qui relève de l’art et ce qui n’en relève pas : Renoir non loin de l’urinoir de Duchamp ou Rubens accueillant Jan Fabre au Louvre par exemple. », à votre avis, faut-il en finir avec ces mariages arrangés ?
Benjamin Olivennes : notre époque est toujours mal à l’aise avec nos trésors du passé, qu’il s’agisse des pièces de Shakespeare, des opéras de Mozart ou de la Joconde, et elle a toujours besoin de les « moderniser », de les « mettre au goût du jour », de montrer qu’ils sont « nos contemporains », pour s’excuser de les défendre et les préserver. Pourquoi pas, mais à ce moment-là, qu’on choisisse des contemporains qui aiment vraiment ces œuvres du passé et les comprennent. Francis Bacon aimait et comprenait le pape Innocent de Velazquez. Voilà un mariage qui aurait pu avoir du sens.
J-L Turpin : de nombreux visiteurs passent devant la peinture sans la regarder pour ce qu’elle est, pour les qualités qui lui sont propres, sans la voir donc. Dans l’optique d’aborder la peinture de manière appropriée, quel est le plus précieux conseil que vous pourriez leur donner ?
Benjamin Olivennes : le meilleur moyen pour que l’œil s’affine est de beaucoup regarder la peinture, extensivement, c’est-à-dire partout où on en trouve (musées, galeries, brocantes, salles de vente, Instagram), et intensivement, c’est-à-dire en retournant dix fois dans la même salle du même musée voir le même tableau. Pour s’y repérer, on peut s’aider de la lecture de bons historiens d’art, ou suivre les goûts et les influences des peintres que l’on aime. Remonter de Lucian Freud à Constable, de Constable à Ruisdael, et une fois qu’on est dans la salle des paysagistes hollandais, regarder Van der Heyden, Hercules Seghers ou Philips Koninck, par exemple ; ou aller de Balthus à Courbet, et inversement.
J-L Turpin : l’amour du beau, la quête de la beauté est vilipendée depuis longtemps, à tel point que le peintre lui-même y pense souvent, mais se garde bien de prononcer ce mot. On sait que les attentes du marché et les missions édictées par les élites culturelles peuvent s’inverser du jour au lendemain. Votre livre pourrait d’ailleurs contribuer à cet éventuel basculement. En attendant et selon vous, le peintre d’aujourd’hui ne doit-il pas, à côté de la cohérence et de la singularité, revendiquer la beauté ?
Benjamin Olivennes : la beauté est une des notions le plus minées du discours sur l’art, car de nombreux peintres ont trouvé la beauté dans l’horrible : Rembrandt dans les rides de ses vieillards, Velazquez dans les difformités des nains de la cour, Goya auprès de ses démons et de ses cauchemars, Picasso, Lucian Freud … Et pourtant c’est bien la beauté que nous recherchons auprès de la peinture. Donc oui, je crois qu’il faut la revendiquer. Mais peut-être que le mot-clé doit être tout simplement celui de peinture. Quand nous sortons d’un grand film, nous disons « ça c’est du cinéma », et quand nous découvrons un nouvel écrivain : « ça c’est de la littérature ». Nous voulons dire par là que l’artiste prend au sérieux les possibilités de son art. La beauté vient de ce que l’œuvre assume pleinement les capacités du médium.
J-L Turpin : comme la plupart des peintres vous aimez les musées. On lira dans votre ouvrage ce qu’ils vous ont apporté, mais pensez-vous que le visiteur occasionnel, le dilettante, parfois traîné par ses parents ou un enseignant jusque dans ces palais républicains, y trouve son compte ? Pour le dire autrement, quelqu’un qui n’a pas encore fréquenté les grandes œuvres, peut-il s’y attacher sans initiation et est-il susceptible d’en tirer un bénéfice ?
Benjamin Olivennes : je vous rassure, y compris dans les familles bourgeoises, la culture n’est plus transmise. Plus le temps passe, et plus nous allons nous retrouver collectivement incapables de comprendre à quoi servent les musées, les conservatoires, l’enseignement du latin, etc. Dans ce contexte la sensibilité à l’art sera de plus en plus le fait d’individus, ayant rencontré la culture par hasard ou presque, sans plus aucun système social ou institutionnel de transmission.
J-L Turpin : à un moment donné, parmi les maîtres modernes ou plutôt parmi les peintres du siècle dernier vous mettez en avant Bonnard et Vuillard, Derain et Marquet. Votre écurie compte également Giacometti. Ce sont effectivement des artistes exceptionnels et singuliers, des artistes difficilement contestables. Pourtant, le trio de tête donné par les peintres eux-mêmes, le tiercé gagnant est généralement composé de Matisse, Braque et Picasso. Un quarté plutôt où Bonnard figure en bonne place. Pour Picasso vous vous êtes expliqué, mais vous avez à peine mentionné matisse et, à priori, Braque n’entre pas dans votre collection. J’imagine que les peintres qui fréquentent ce site aimeraient en savoir un peu plus à ce propos.
Benjamin Olivennes : là encore je crois qu’il s’agit d’une affaire de positions relatives. J’aime beaucoup Picasso, Matisse et Braque, comme tout le monde, mais leur gloire n’a pas tellement besoin d’avocats aujourd’hui. Je voudrais qu’ils laissent un peu de place à Bonnard et Vuillard, et à Marquet, qui me semblent pouvoir nourrir aussi bien que ces trois-là les peintres de demain, et peut-être mieux. Et je dois l’avouer, je suis plus sensible à une peinture qui célèbre sans relâche l’énigme de la réalité qu’aux tentations formalistes ou décoratives incarnées si génialement par Matisse ou Picasso.
Entretien avec Benjamin Olivennes réalisé en mai 2021 pour sur-la-peinture.com
(le cas échéant citez vos sources)
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Un peu plus sur le livre de Benjamin Olivennes
lenouveleconomiste.fr :
https://www.lenouveleconomiste.fr/librairie/lautre-art-contemporain-vrais-artistes-et-fausses-valeurs-84410/
contrepoints.org :
https://www.contrepoints.org/2021/02/19/391305-la-peinture-est-toujours-vivante-en-france-malgre-letat
lefigaro.fr:
https://www.lefigaro.fr/vox/culture/contre-les-fakenews-de-l-art-contemporain-20210212
Le livre de Mr Benjamin Olivennes fait incontestablement du bien , ramène à une définition de l’art, plus juste et plus humaine .. celle qui nous a effectivement fait rêver pendant des années , et qui existe depuis de nombreuses générations …
Malheureusement la Puissance Mondialisée, ne fonctionne pas comme cela …nous le voyons tous les jours , et dans presque tous les domaines de l’activité humaine .. y compris les plus « incorruptibles » ,comme la Science ..par exemple …
En ce sens…. le phénomène de « l’art contemporain » qui n’a qu’une cinquantaine d’années….a été premonitoire…
il a montré comment on pouvait sans vergogne…. faire passer des concepts de Vérité, d’Art , d’Authenticité…. que recherche le citoyen cultivé « honnête » …après les notions d’investissement, de capitalisation, de promotion , de rentabilité .planétaires ou non ..
Nous n’en sommes même plus aux debats d’idées .. et les petits « David » que nous sommes … sont bien faibles …face aux Goliaths de la Mondialisation …qui peuvent même « censurer » ou tuer …si bon leur semble ..
On en revient à la fable du « Savetier et le financier » de La Fontaine .. Il n’est pas dit que ce soit le Savetier qui perde …à la longue … mais le combat est titanesque ..!!! et seul, peut-être l’heroisme collectif ou de quelques uns….pourrait faire plier ….. Mais ….?????. Claude Regard … .
http://wikipedia.org%20%20%20peinture%20non%20figurative%20
Le piratage de l’interview de Benjamin Olivennes.
Le « Vadrouilleur urbain » a piraté cet article réalisé et publié par et pour sur-la-peinture.com
Le blog Le vadrouilleur urbain alimenté par François Boucher à repris et diffusé sans même me consulter, sans citer ses sources, en faisant en sorte que cet article piraté passe pour une publication de son misérable blog, l’interview de Benjamin Olivennes réalisé par JL Turpin pour sur-la-peinture.com.
Un peu énervé par ce manque total d’honnêteté, J’ai commenté cette forfaiture plusieurs fois sur Facebook. Au vu du style de son blog, je ne comptais pas sur un soudain repentir de François Boucher, mais traversant une période difficile, je pensais que ça me distrairais. Ce n’est pas le cas et ce court texte est simplement destiné à laisser une trace de la fourberie du Vadrouilleur urbain.
Contrairement à ce que laissent penser les captures d’écran postées dans FdeB et réalisées fin juin, l’interview évoqué est maintenant passé dans les limbes du blog de François Boucher, mais que ce dernier s’abstienne à l’avenir de venir braconner dans ce domaine ou qu’il cite clairement ses sources (comme il le fait si bien quand il le veut).
DJLD