L’idéal de la peinture

Dans ce cas précis cela s’impose, mais, d’une manière plus générale, cliquez les images pour les agrandir. On peut agrandir ainsi toutes les reproductions intégrées dans ce site

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L’année 2011, comme j’étais sans atelier, j’ai commencé à composer un genre de petit traité sur la peinture et le dessin. Je me basais alors sur un journal d’atelier que j’avais périodiquement tenu depuis une vingtaine d’années. Sans être mirobolante, ma situation a changée, mais, désormais, je ne pouvais plus lâcher ce manuscrit. C’était devenu pour moi un genre de mission, un véritable sacerdoce. Dans mon invraisemblable prétention, je m’étais mis en tête de présenter la peinture pour ce qu’elle est, pour les qualités qui lui sont particulières, je voulais la présenter dans sa diversité ET dans son unité. Dans ce scénario, un facteur que j’ai appelé « L’idéal de la peinture » et auquel je tiens tout particulièrement, s’est imposée à moi, progressivement, mais durablement.

Dès le début de mon entreprise, je me suis appuyé sur les œuvres des grands peintres ou plus exactement sur celles des figures tutélaires de la peinture. Autant de références qui représentent la clé de cette réflexion. A cet égard je n’ai rien inventé, Roger Plin et Remy Aron, qui ont été mes enseignants, évoquaient régulièrement « la chaîne des maîtres ». C’est-à-dire ces peintres qui nous offrent le meilleur de la peinture et suscitent l’admiration de leurs pairs. Ces maîtres, que l’on appellera les peintres des peintres, nourrissent un invincible dialogue avec ceux et celles qui, parfois, plusieurs siècles après eux, se lancent à corps perdu dans l’aventure de la peinture.

Veronese Paolo, Le Christ mort soutenu par des anges, 1580-88, huile sur toile, 98,1 x 71,4 cm, Museum of Fine Arts Boston, Copyright de l'image ©Museum of Fine Arts Boston

Veronese Paolo, Le Christ mort soutenu par des anges, 1580-88, huile sur toile, 98,1 x 71,4 cm, Museum of Fine Arts Boston, Copyright de l’image ©Museum of Fine Arts Boston

Au regard de cette réalité, une question m’a longtemps taraudée : comment se révèlent, ou se construisent, ces peintres d’exception ? Comment est-il possible à soi seul d’incarner la peinture ? Pour le dire autrement comment devient-on Véronèse, Rembrandt, Vermeer, Goya ou Rothko ?
Il y a bien sûr l’exigence, le travail acharné, la sincérité, la sensibilité, la connaissance, les moyens, le souffle… Mais ce n’est pas suffisant. Tous les caciques du domaine pictural nourrissent une même passion, une passion exigeante, absorbante, absolue, pour la peinture. La peinture a été leur raison d’être. Que ce soit Piero della Francesca, le Tintoret, le Greco, Degas, Matisse, Bissière…  ils ont mis leur vie toute entière dans cette discipline. L’idéal de la peinture est une exigence absolue, un engagement constant pour une peinture autonome ou, plus exactement, souveraine.

Piero della Francesca, la Vierge de miséricorde, 1445-1462, tempera et or sur bois, 134 × 91 cm, Museo Civico di Sansepolcro, Sansepolcro

Piero della Francesca, la Vierge de miséricorde, 1445-1462, tempera et or sur bois, 134 × 91 cm, Museo Civico di Sansepolcro, Sansepolcro

Parlant de peinture, on peut évoquer un besoin d’élévation ou de spiritualité. De la même manière, il est possible de faire référence à la notion de sacré :

 « Sacrée, quelle image intense ne le fût ? Le sacré déborde le religieux, comme la transcendance, le surnaturel. Dans la peinture de ce siècle, Giacometti et Matisse pourraient y prétendre aussi bien que Chagall et Rouault. »
Debray Régis, Vie et mort de l’image, Gallimard, 1992

À la liste de Debray, j’ajouterais volontiers Bonnard, Staël, Bram Van Velde ou Picasso.
Sans que leurs objectifs ne se recouvrent entièrement, la quête de tous ses grands peintres, participe bien d’une recherche de l’essentiel, d’un besoin de dépassement, d’un idéal.

Parmi ces pointures, ces titans, je cherchais un exemple, un cas concret… J’ai choisi Delacroix. Pour illustrer mon postulat, c’est l’exemple parfait. Si je me rapporte à tout ce que j’ai vu, lu ou même entendu, ce peintre d’exception semble n’avoir jamais connu la petite forme, la période incertaine, le manque de souffle, de temps, d’exigence ou encore d’inspiration. Je ne trouve pas la toile de trop, la toile qui ne serait pas un tout cohérent, une totalité plastique, la toile qui ne répondrait pas à une nécessité intérieure. Je n’ai pas vu toutes les pièces de sa collection et je peux m’emballer, mais, si mon pronostic est correct, Delacroix fait exception au théorème qui suit : les peintres des peintres, les peintres qui font référence dans ces pages, ne sont pas infaillibles ; s’ils n’ont pas connu le marasme, ils ont parfois connu l’échec. Cela ne doit pas entamer l’admiration que nous leur portons, car, quelque soit le détail de leurs états de service, ils demeurent irremplaçables. Ce postulat a déjà été posé, notamment dans L’œuvre essentielle et dans Picasso a-t-il un cœur ?
Admettons que Delacroix ne soit pas concerné, qu’il soit bien ce peintre sans peur et sans reproches chanté par Baudelaire, de quelle potion tirerait-il son invulnérabilité ?

Delacroix Eugène, Le Christ sur le lac de Génésareth, 1840-1845, huile sur toile, 46 × 55 cm, Atkins museum of art, Kansas City

Delacroix Eugène, Le Christ sur le lac de Génésareth, 1840-1845, huile sur toile, 46 × 55 cm, Atkins museum of art, Kansas City

Comme ses pairs, il a pour lui la sincérité, la connaissance, les moyens, la fièvre, l’instinct. Il partage aussi avec eux un état d’esprit, un engagement pour les valeurs proprement picturales. Ce que je crois, c’est qu’il n’y pas eu de failles dans cet engagement, pas d’absences, de doutes, de concessions. Delacroix a été constamment porté par un idéal. Un idéal qui fait l’unité et la pérennité de la peinture. Un idéal qui fait le bonheur de l’amateur de peinture. Un idéal qui fait encore aujourd’hui le rayonnement d’un Poussin, d’un Cézanne, d’un Monet…

C’est ce sentiment passionné pour la peinture — dans ce qui la caractérise, pour les qualités qui lui sont propres, c’est cette perpétuelle recherche d’une peinture qui porte sa finalité en elle-même, qui fait les grandes figures de la peinture. Alors, pour le peintre d’aujourd’hui, qui a inscrit ses pas dans ceux des peintres d’exception, il n’est pas question de réussir le tableau idéal, mais simplement de travailler dans l’idéal de la peinture.

 « (…) il cherche à réussir un tableau. Moi je cherche la peinture,  la vie. »
Juliet Charles, Rencontres avec Bram Van Velde, P.O.L, 2001, p. 27

 

DJLD, L’idéal de la peinture – au 13 1 20

Une réflexion au sujet de « L’idéal de la peinture »

  1. Sallantin

    Quelle actualité de cet article a l’approche du revirement ( bascule?) des institutions vers la peinture actuelle présentée le 19 septembre 2024 au musée d’Orsay avec 80 peintres en écho avec les collections du musée, donc figuratifs. Félicitations à ce site d’avoir gardé le cap de la peinture dans une période que l’histoire considérera avec sévérité, celle de l’exclusion de la peinture vivante en France pour la raison qu’elle serait passéiste., pas en phase avec la société actuelle etc….etc….
    Allons voir cette figuration qui veut renouer le dialogue avec les maîtres – on se réjouit de ce changement même si la difficulté est grande….celle « de chercher la peinture, la vie » a l’heure de l’IA.

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